TONTON NESTOR
- Qu’est-ce que tu fais là ? a demandé Tonton Nestor.
- Rien, Tonton ! Avec mon copain Archibald, on joue juste à l’Ecoute-aux-portes !
- Poussez-vous donc un peu, les mômes ! Je n’ai pas très envie que vous renversiez cette grande potiche. Elle vient de Chine, elle coûte une fortune. Allez jouer dehors, garnements !
- Mais… Tonton Nestor. C’est qu’il pleut abondamment, bien plus que dans la Bretagne et la Belgique réunies !
- Alors va-t-en voir là-haut si j’y suis, Augustin !
On ne se l’est pas fait dire deux fois. La maison de Tonton ressemble à un musée et rien ne nous plaît plus, à mon copain Archie et moi, que d’en explorer les coins et les recoins chaque fois que Maman nous laisse en garde chez Tonton. Ce jour-là, du coup, comme on avait la permission, on est allés jouer aux aventuriers dans le grenier.
Chez Tonton Nestor, le comble des combles c’est qu’on n’y trouve aucune poussière. Tout l’amoncèlement d’objets exotiques, hétéroclites, insolites et cosmopolites qui se trouve là est propre comme un sou neuf. La petite statuette à laquelle il manque une oreille semble avoir été sculptée la veille, la collection de plumeaux de Tonton semble avoir été nettoyée au plumeau et le vieux scaphandre orange est comme prêt à servir.
- Messieurs a clamé Archibald du haut de ses neuf ans en refermant la porte, allons faire à présent la tournée des boxons !
- Du boxon, Archibald !
On a fouiné un peu partout et on a commencé par ouvrir un coffre aux trésors dans lequel il y avait surtout des vêtements de femme. Ça nous a paru surprenant parce que Maman m’a toujours dit que Tonton Nestor était resté « vieux gars » et c’est vrai qu’il n’y a jamais personne du sexe féminin à lui rendre visite chez lui du moins quand Maman a son bridge et qu’elle me dépose chez Tonton avec un de mes copains. Tonton Nestor, depuis que je suis tout petit, c’est mon baby-sitter préféré !
- Attends une minute Augustin. Retourne-toi, je te prépare une surprise !
J’ai fait ce que mon pote demandait, j’ai contemplé le tableau du pirate barbu avec son chapeau à grandes plumes et sa caravelle au loin sur la mer pendant qu’Archibald, je m’en doutais bien, enfilait un déguisement.
- Alors mon rat ? Est-ce que je te tente ?
Mon Dieu, ce que c’est tout de même que de nous ! Cet idiot d’Archibald s’était vêtu d’une robe rose à manches courtes et bouffantes et il s’était mis des fleurs sur les oreilles !
- Remball’ tes os, ma mie, ai-je répondu. Tu es bien trop maigrelette à mon goût !
- Allons, ne te défends pas ! Avoue que je te plais ! Tu me plais, viens donc, beau militaire !
- Je suis le maître à bord ! Sauve qui peut ! Le vin et le pastis d’abord ! Chacun sa bonbonne et courage ! » criai-je en m’enfuyant à l’autre bout du grenier.
- Je suis un p’tit poucet perdu ! Je suis seule et j’ai peur ! Ouvrez-moi par pitié !
- Le bon Dieu me le pardonne, mais chacun pour soi !
Là-dessus, parce que la virtuosité est une affaire de balourds, ce gros malin d’Archie, bien que ses frêles mollets fussent empêtrés dans les dentelles de sa robe trop longue, a quand même réussi à m’agripper et a entrepris de m’embrasser !
- Arrête, crétin, ai-je dit. J’ai vu par la lucarne qu’il a cessé de pleuvoir et que le soleil brille. On peut retourner jouer au foot dehors.
- Le temps, madame, que nous importe ? Les femmes adultères, d’abord, n’en ont que faire !
- Attends, je ne suis pas une femme moi ! T’as dû te gourer dans tes répliques ! Je suis un pirate porté sur la bouteille !
- Les poivrots, le diable les emporte ! Reviens plutôt au coffre essayer d’autres déguisements !
Effectivement, Archibald a voulu me faire revêtir une autre robe d’apparat avec une coiffe blanche ridicule et pour rire encore plus, m’a affublé d’un miroir orné de marguerites mais j’ai refusé et j’ai jeté mon dévolu sur une superbe veste blanche avec un nœud papillon de la même couleur. Une fois que je l’ai eu enfilé, Archie m’a appelé.
- Hé ! Augustin ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il s’était arrêté devant une grande malle verticale sur le couvercle de laquelle une étiquette disait « Fermé jusqu’à la fin des jours pour cause d’amour ».
- Tu crois qu’on peut l’ouvrir ? C’est peut-être dangereux ?
- Je ne sais pas ! Essaye pour voir ! Tu vas peut-être trouver dedans la femme ou l’homme de ta vie ?
Archibald a fit glisser deux petits boutons métalliques ronds. Cela a libéré deux fermetures à ressort puis il a soulevé le petit cliquet au milieu, ouvert le couvercle de la malle et alors nous sommes restés pétrifiés quand une voix d’outre-tombe est sortie de l’horreur à bandelettes qui était à l’intérieur.
- Merci ! Qu’on pût encore me désirer ce serait extraordinaire et pour tout dire inespéré ! Je ne suis pas bien grosse mais ça n’est pas de ma faute !
- Une momie ! » me suis-je exclamé en poussant Archie du coude.
- Et qui cause ! » m’a-t-il répondu d’une voix chevrotante. Il ouvrait de grands yeux hébétés et il me faisait mal à force de me serrer le bras. La momie poursuivit ce qui ne semblait être qu’un monologue.
- Mon cher, dit-elle, vous êtes fou ! J’ai deux mille ans de plus que vous !
Soudain il se passa une chose encore plus étrange. La momie pivota sur elle-même, ses yeux devinrent deux boules rouges phosphorescentes, elle fixa son regard sur moi et dit :
- C’est toi que j’aime et si tu veux tu peux m’embrasser sur la bouche et même pire !
Elle me tendit ses bras, ses lèvres, comme pour me remercier mais Archie réagit le premier et d’un coup sec il rabattit le couvercle de la malle. Nous repoussâmes les verrous tandis qu’à l’intérieur la momie protestait :
- Aïe ! Vous m’avez fêlé le postérieur en deux !
***
Quand l’incident a été terminé, nous nous sommes épongé le front et sans demander notre reste nous avons redescendu l’escalier quatre à quatre, encore haletants, les cheveux dressés sur la tête d’avoir ressenti un tel effroi.
Pour donner le change à Tonton Nestor, une fois arrivés en bas, nous avons rectifié notre tenue et nous avons pris chacun un illustré dans sa collection de bandes dessinées. Puis nous nous sommes installés sagement sur le canapé du salon.
Tonton Nestor nous tournait le dos car il était en train de téléphoner. Nous l’avons écouté sans qu’il se rendît compte de notre présence :
- Non, Irma, disait-il à son interlocutrice. Je ne pourrai pas tout de suite. Quand je travaillais encore dans son château, Madame la marquise m’a collé des morpions. Ils ont grandi depuis et je suis en train d’en garder un. Quand j’aurai rendu Augustin à sa mère je viendrai te prouver que je n’ai jamais aimé que toi, ma Bibiche.
C’est donc ce jour-là que j’ai appris, tout à fait par hasard, à cause d’une momie nymphomane, que Tonton Nestor n’était pas mon oncle mais bel et bien mon père génétique ! Dès qu'il s'agit de ccaher la poussière sous le tapis, les adultes sont décidément très forts !
Ecrit à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 23 septembre 2014 d'après cette consigne :
1 Ecrivez le titre de trois chansons que vous connaissez.
2 Choisissez en une parmi ces trois : celle dont le titre pourra et
devra même être celui du texte que vous allez écrire
3 Vous avez obligation d'insérer dans ce texte cinq répliques ou
citations extraites de chansons de Georges Brassens