L'OLYMPIA (C') EST DIFFICILE !
Je n’aime pas quand Halévy arrive avec des sujets comme ça ! Est-ce que c’est bien sérieux de me demander à moi, Henry Meilhac, librettiste pas triste, d’écrire des chansons, drôles ou pas, à partir d’éléments biographiques aussi insipides ? D’abord, où a-t-il dégoté cette pièce de Jules Barbier ? Qui c’est ce mec inconnu au bataillon ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de pimbêche à qui les hommes amoureux d’elle ne plaisent jamais ? Pourquoi pas, tant qu’à faire, les aventures d’une prostituée tuberculeuse ? Je ne sais pas s’il se rend compte, Ludovic, que je ne vais pas pouvoir pondre d’un seul jet des couplets qui plairont à Offenbach pour ses « Comptes d’Ophwoman » à partir de cette matière-là. Jugez par vous-même :
- Le premier soupirant d’Olympia fut un aspirant de marine qui avait besoin d’aspirine car, trop porté sur la bouteille, il trouvait bien souvent duraille de devoir faire des merveilles pour être à la hauteur des désirs du bas-bleu dont il visait les épousailles. Peu enclin aux trouvailles et mal armé pour la rimaille il passait par le soupirail pour aller dans la cave boire le jus de la treille conservé en flacons. Le beau-père potentiel apprécia peu cette intrusion par passion et ces penchants pour la boisson. La jeune fille non plus. On rompit les fiançailles.
Au suivant ! Le deuxième plut beaucoup à Madame Coquatrix. Elle le trouvait au poil et il s’en fallut d’un cheveu que ce prétendant fût le bon. Mais Olympia ne goûta pas l’idée de devenir épouse d’un botaniste hyper-barbu qui menait au Museum d’histoire naturelle des recherches sur les plantes carnivores. Il rêvait de devenir le singe de son service mais comme seul argument de cette ambition-là il n’avait à offrir qu’une pilosité abondante et sa propension à ramener du travail à la maison. Les plantes qui prennent la mouche, faut aimer.Qui plus est, tout comme Henri IV, l’homme embaumait l’ail à trois pas. Rien de tel pour déboulonner l’idole. La jeune fille mit fin à l’’idylle.
Jamais deux sans trois. Il y eut ensuite le peintre de Toulouse, petit, mal embouché et chameau sur les bords. Un bosseur bossu et iconoclaste. On découvrit d’après certains cancans qu’il était fort goulu de femmes de mauvaise vie et qu’il avait vécu autrefois à Montmartre dans une maison close. San compter qu’il commit maintes folies avec plusieurs bergères. La famille Coquatrix ne tenait pas à ce qu’Olympia s’acoquinquinât avec ce pratiquant forcené du jeu de la bête à deux dos. Il devint, le rapin de Toulouse, l’autre ex.
Avec le quatrième de ses prétendants, on faillit acquérir des quartiers de noblesse. Il s’agissait en effet de Pierre-Igor de Talleyrand, marquis de Confitdoie et apparenté à la mode de Bretagne avec Charles-Maurice le très connu ministre de Napoléon 1er. Malheureusement, tout comme son parent, Pierre-Igor était né avec une jambe de bois et ainsi que lui traitait toute la gent féminine de « mère d’en bas de soi ». Cet appariement avec un boiteux à langage peu châtié partait d’un trop mauvais pied pour qu’on pût cheminer longtemps ensemble. "De toute façon, commenta Olympia, vos velléités de mariage, ça commence à me faire une belle jambe, espèce de bande de casse-pieds !"
Là-dessus, comble du désespoir pour les parents de la jeune fille incasable, la jeune demoiselle s’enfuit avec un musicien pour aller élever des chèvres au Larzac, poser nue pour des peintres de passage et même déjeuner sur l’herbe en petite tenue parmi des messieurs habillés. Quel scandale ! Mais c’est qu’on est rendu en mai 1868, voyez-vous ? Vois-tu Henry ce qu’on peut tirer de couplets pour ces « Comptes d’Ophwoman » ?
Je me suis mis au travail dès le lendemain et j’ai d’abord pondu une gwerz, une espèce de lamentation bretonne sur la douleur des familles bourgeoise qui ont du mal à caser leur progéniture ou voient leurs valeurs voler en éclats avec le développement de la société industrielle et la montée de l’Impressionisme. Et puis le soir j’ai dit Basta ! Offenbach trouvera bien quelqu’un d’autre pour adapter cette histoire stupide. Je renonce. Pour ne pas perdre complètement ma journée d’écriture, j’ai torché à la va-vite un chant de marin à ma façon sur le sujet. C’est évidemment incasable, personne n’en fera jamais rien mais bon je ne sais pas si vous avez remarqué mais Halévy et moi, on a besoin de vacances !
N.B. Effectivement, c’est Jules Barbier qui adapta lui-même sa pièce pour donner naissance, en modifiant le titre et l’intrigue, à l’opéra le plus fantastique qu’on connaisse d’Offenbach : « Les contes d’Hoffmann ».
Quant à la chansonnette non signée d’Henri Meilhac, elle connut elle aussi une certaine postérité. La preuve : elle est encore aujourd’hui inscrite au répertoire ! Au répertoire du Club des 5 !
Ecrit pour "Un mot, une image, une citation" du 23 juin 2014 d'après cette consigne :