LES HEUREUX ET LES DAMNES
- C’est l’histoire d’un mec qui est né dans un bled nommé Ascalon. On va l’appeler H. pour faire court. Il est le fils d’Antipater, le bras droit d’un gangster nommé Hyrcan II qui détient le pouvoir sur tout un territoire de l’empire des jeux. A l’époque où commence le périple, H a déjà du sang sur les mains. Il s’est débarrassé d’un concurrent nommé Ezéchias mais grâce à l’intervention de son avocat, Maître Saméas, H. a été relaxé au bénéfice du doute par le juge Sanédrin.
- C’est le scénario du remake du « Parrain » que tu nous amènes-là ? Ou une resucée des « Soprano » ?
- Au début du film, il vient d’être recruté par le boss de la Mafia, Sextus Caesar qui a besoin d’un stratège en Samarie. Mais Sextus Caesar est assassiné.
- D’où la réplique un peu brute « Tu quoque mi fili ! ». Tu nous proposes un péplum ou quoi, là ? Je te signale qu’on n’aura pas le budget de « Cléopâtre » pour ce film !
- Antipater et H. se rallient alors à Cécilien Bass dont la spécialité est le racket des potentats locaux mais Antipater est assassiné par Terence Malik, un notable qui rechignait à casquer et qui rêvait de prendre sa place. H. nommé intendant de Syracuse par Cassius Clay venge son père en faisant assassiner Malik près de Tyr.
- Je rêve ou j’ai enfin entendu le mot « tire » ? Ça manquait cruellement de moyens de locomotion, jusque-là, pour un road-movie !
- Puis il y a une guerre des gangs entre H., son frère Phasaël, Antigonos et Marion. H. soudoie le grand Tonio qui est devenu le patron de la Mafia entre temps. Comme il a versé bonbon, il est nommé tétrarque.
- « Touchez pas au grisbi » ? « L’argent de la vieille » ? Ah non, je confonds avec l’or et Pétrarque !
- Mais bientôt le clan des Siciliens envahit le secteur. Phasaël, Antigonos et Hyrcan II sont pris en otages par leur chef, Balthazar Farnese. H. s’enfuit de Jérusalem avec 9000 hommes.
- 9000 hommes !? Bonjour la facture des figurants ! Tu prends Canal + pour Cecil B. de Mille, le facteur Crésus ou l’abbé Gomme ou quoi ? Et Jérusalem, maintenant ? Tu crois qu’on va pouvoir aller là-bas tourner les lamentations de ton héros qui va droit dans le mur ?
- J’y peux, rien, c’est inspiré de faits réels ! Ils tombent dans une embuscade mais il parvient à mettre sa famille en sécurité à Massada et à aller chercher du renfort à Pétra. Mais le succès des Siciliens est sans lendemain et finalement H. devient le patron de toute la Mafia. Il consolide son pouvoir, fait exécuter 45 notables, il s'allie à la Mafia russe par son mariage avec Mariamne, fait nommer Aristobule III, son beau-frère de 17 ans comme bras droit puis, le jugeant trop populaire, le fait noyer sans tambour ni trompettes dans une piscine près de Jéricho. Plus tard, il fait exécuter son beau-frère Joseph, sa belle-mère, et même sa propre femme à la demande de sa sœur Salomé qui accusait celle-ci d’infidélité. Il devient à moitié fou et la caméra le suit alors qu’il a entrepris de massacrer tous les mômes de moins de deux ans sous prétexte que son successeur à son poste est parmi eux.
- Eh ben ! « Massacre à la tronçonneuse dans la maison Shakespeare», maintenant ! T’as des réductions chez un marchand de ketchup pour l’hémoglobine ? Tu me prends pour Tarantino ? Ecoute, je t’aime bien, Francis Scott, mais il y a un truc qui ne va pas dans ton pitch. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression que tout est vieux, qu’on a déjà vu ça quelque part, que ça sent le réchauffé. Et il me semble qu’on t’avait demandé un scénario de road movie.
- Mais ça se passe en Syrie, en Judée, à Rome. Ca s’appelle justement « Herod’s movie ». C’est un concept intellectuel post-moderne : j’ai tout plagié sur Wikipédia, juste changé quelques noms, transposé de nos jours…
- Un film historique ! N’importe quoi ! Je crois qu’il vaut mieux que tu renonces. Tiens, je te rends ton dossier.
- Tu refuses de le tourner ? Alors là, tu me déçois. Je ne te reconnais plus, Francis Ford. Et puis on va passer pour des cons : j’avais pressenti Gérard pour le rôle principal et il avait accepté.
- Gérard ? Quel Gérard ?
- Ben, Depardieu, pardi !
- Tu as l’accord de Depardieu pour tourner ça ?
- Il a dit que si c’était toi qui réalisais, il se libérait tout de suite.
- Pourquoi tu ne m’as pas dit ça plus tôt, imbécile d’alcoolique ? Qu’est-ce que tu nous fais perdre comme temps, toi alors ! Rends-moi ce dossier, j’appelle le producteur. Je lui demande un à-valoir maousse pour que tu puisses continuer à te soûler la gueule comme un putain d’Irlandais génial que tu es et on le met en route dès demain.
-Ca roule !
Ecrit pour les Impromptus littéraires du 26 août 2013 sur le thème "road movie".