Un vélo rue Hoche à Rennes le 31 août 2013
Mais quand reviendra le temps des cerises ?
Mais quand reviendra le temps des cerises ?
A l’époque de la Guerre froide, c’est-à-dire quand le bloc des pays de l’Est avec l’URSS à sa tête et les Etats-Unis d’Amérique avec l’île d’Hawaï à leur queue jouaient à qui aurait la plus grosse force de frappe en envoyant des tas de ferraille appelés Spoutnik, Vostok (mot qui veut dire l’Est en russe) ou Apollo dans une stratosphère encore vierge de satellites-espions malgré la présence lancinante de James Bond, d’OSS 117 (pas encore la mort en ce Dujardin !) et du chat siamois de Walt Disney qui avait des pattes de velours et qu’il ne fallait pas confondre avec la belle de Cadix dont c’étaient les yeux, un citoyen qui habitait le Nord de l’Ossétie du Sud réussit à passer à l’Ouest.
Il s’appelait Pavel Viktorovitch Krapov et n’était autre que mon grand-père putatif mais il avait par nature, quand il allait au lupanar, une prédilection pour les prostituées lentes auxquelles il cherchait des poux dans la tête. Oui, je sais, c’est nul !
Car, je ne vous l’ai pas dit encore, mais vous ne m’avez pas laissé le temps, non plus, mon grand-père courait tout autant la gueuse que l’alambic. A l’issue de sa folle cavale, il avait débarqué gare de l’Est à Paris et pour fêter sa fuite, histoire de s’en boucher un coin, il était entré dans tous les bistrots qu’il trouvait sur son chemin. Il en avait écumé un bon nombre, à la louche disons quinze, quand un patron de café que ses divagations soûlaient lui conseilla d’aller dégoiser ses bêtises à Cambrai. Ça tombait bien, Papy était justement arrivé gare du Nord. Vu qu’il était un peu gris il prit bien le train pour le Nord, alors pays des gueules noires, mais il descendit dans le Pas-de-Calais. Et comme il avait bon fond il y devint mineur. C’était à la compagnie des mines d’Ostricourt, à la fosse n°5 et il fut vite surnommé l’Ossète du 5 parce qu’il s’était mis à courtiser Cléo, l’institutrice qui lui apprenait le français et qu’il finit par épouser, dans les orties, afin qu’ elle devînt ma mémé. Faut toujours épouser Mémé dans les orties, malgré ce qu’en dit le proverbe. Ça pique mais c’est bon. Quand ça s’arrête.
Elle s’appelait Cléo Cardinal ; à l’époque elle était belle comme Claudia mais sans « e » et Grand-père disait souvent : « Dans famille moi point de cardinaux en nombre mais maintenant Cardinal pas ordinaire. Très orignal ! C.C. plus jolie que B.B. !».
Comme on dit dans le Nord, mon grand-père « saqua vite ses oches » c’est à dire qu’il sauva sa peau (et ses os) en se sortant très vite de sa situation de prolétaire au charbon pour devenir finalement démineur de fonds à la bibliothèque municipale de Carvin. Ce métier consistait alors à retirer des collections les ouvrages passés de mode pour les remplacer par d’autres plus inté-récents. On appelle ça désherber aujourd’hui et ça concerne surtout les livres de la bibliothèque verte. La rose aussi, surtout depuis que les gamins ne lisent plus qu’Harry Potter et embrayent très vite sur Michel Houellebecq et la fille de Madame Angot.
C’est mon grand-père qui mit au pilon « A l’Est d’Eden » de John Steinbeck, « Nord contre Sud » de Jules Verne, « A l’Ouest rien de nouveau » d’E.M. Remarque, les romans de Pierre Nord, « Croix du Sud » de Joseph Peyré et plein d’autres nanars des quatre coins du monde ou plutôt des six coins de l’hexagone . Quand je dis « mettre au pilon », ça ne veut pas dire qu’il les fourguait à un mutilé de guerre à jambe de bois, laissez-lui la place réservée, s’il vous plaît, ça veut dire qu’il était censé les éliminer mais qu’en fait il les ramenait à la maison. Moi je me jetais dessus car on mourait de faim encore à cette époque et j’ai toujours aimé dévorer les bouquins. Même encore maintenant à l’époque des liseuses, des écrans, des tablettes, je vénère le papier, surtout dans les toilettes.
Parti comme je suis, il va falloir que je m’arrête car je pourrais vous parler aussi de mon père que Papy Pavel et Mamy Cléo, avec beaucoup d’humour, avaient prénommé Ilarion Pavlovitch. Lui c’était le chanteur de la famille. Toute mon enfance j’ai eu droit au « Sud » de Nino Ferrer, à « La foire de l’Est » d’Angelo Branduardi, aux « Gens du Nord » d’Enrico Macias et au motif d’harmonica d’ « Il était une fois dans l’Ouest » d’Ennio Morricone. Sans oublier le « I wanna live in America » de « West Side story » par Trini Lopez ni “It’s only a Northern song” des Beatles qu’il avait traduite en français sous le titre “Ce n’est rien qu’une chanson à l’Ouest”.
Il chantait égalementi « Ch’est mi Louis ch’bochu, Roubaix-Tourcoing m’a vu Dins ché cafés-concerts Euch sifflos des grands airs »... et des grands verres aussi car lui aussi courait la Lambic autant que la Gueuze. En réalité, le personnage central de cette chanson reprise par les Capenoules s’appelait Charlot ch’bochu. Mais bon Louis, Charles, François, le roi de cœur et les Capet-nuls qui nous ont fait l’histoire de France, c’était bien au-dessus de leur tête, ils avaient le droit de confondre, surtout qu’ils étaient eux-mêmes confondus de boisson et pris de fou-rire ou l’inverse.
Avec de tels ascendants hélas aujourd’hui disparus, on comprend que je sois moi-même parfois un peu déboussolé. A vrai dire, parmi ces comiques il était dur de se faire une situation et je crois que justement je chercherai toute ma vie, à l’Est, à l’Ouest, au Sud ou au Nord, une situation de comique qui me les rappelle ou les rende fiers de voir, s’ils peuvent, de là-haut ou de là-dessous, que je suis resté bien quand même dans la ligne du parti de rien qui est revenu de tout. Cependant je ne sais pas si c’est un bon plan au moment où la guerre froide ressort des plats mal réchauffés et des road-movies pour les drones qui ne me semblent pas très drôles.
Peut-être que je ferais mieux de devenir mythomane pour embrouiller la NSA ?! Maintenant que tout le monde sait tout sur tout et sur mes trans-parents, ce serait peut-être trans-marrant ?
En attendant la rose des vents, longue vie et bonheur à vous, ami(e)s transfuges !
Ecrit pour les Impromptus littéraires du 2 septembre 2013 d'après la consigne "Points cardinaux".
J’écris le slam de l’homme en slip qui slalome rue d’Isly en gueulant aux passants qu’il lui faut du müesli pour aller à Oslo.
J’écris le slam du type en kilt qui joue aux osselets et plante la phacélie au cimetière d’Elseneur et réclame un cheval pour fuir à tout jamais ce royaume pourri brûlé par le Gulf stream et l’orchestre des vents à tout jamais mauvais.
J’écris le slam du string de Lady Godiva qui jouait du violon tout près du Papyrus, immeuble de bureaux de la rue de Lorient et le soleil se lève et jamais ne se couche et les dancings fermés ne rêvent plus de pluie depuis je ne sais plus, disons comme Aragon depuis que je me suis séparé de mon premier slip aéré dont tout le monde se contrefiche.
J’écris le slam de la madone du sleeping Paris-Méditerranée qui en gare de Sète cherche son terminus près de la tombe à Georges mais ne la trouve pas. Ce qu’elle a sur le cul est garni de dentelle mais le poète est mort et ne peut plus bander toute son énergie pour attirer la belle. Ah la la ! Quel gâchis ! Elle qui justement cherchait une moustache parce que c’est meilleur, le slam, avec du poil.
J’écris le slam du gars d’Oslo dont le slogan est « tous au slow à l’élastique » et sur son pagne est dessiné un plan de campagne finlandaise où les bergers sur des échasses gardent les moutons des nuages coincés au chambranle des portes.
J’écris, vous l’aurez deviné, le slam du réchauffement climatique, de l’industrie textile restée sur le carreau car il n’est plus besoin de porter de chemise, la cravate est tombée et nous errons pieds nus sous quarante degrés partout sur nos gamelles. Un reste de pudeur fait que d’aucuns portent encore un kilt en Elseneur, un caleçon rue d’Isly, un bermuda au Triangle à Rennes, un string en Slovaquie, un slip au Vatican pour voir son Eminence.
J’écris le slam de l’archiduc mort à Sarajevo le même jour que moi enfin le même jour quarante années plus tard où moi j’ai vu le jour pour la première fois. Il y avait encore de l’eau tombant du ciel et nous portions alors d’affreuses barboteuses. Je me souviens encore de ce siècle passé, le slam n’existait pas et l’on se demandait dans les chansons d’alors si les chemises de l’archiduchesse étaient bien sèches * et l’on avait projet d’aller pendre son linge sur la ligne Siegfried pour voir si l’antisLASH VOLAIT DES VACHES QUI RIT. C’était guerre contre paix.
Loin des réclames de la lessive, hors du temps qui délave tout « cause you know that time, time fades away » j’écris le slam des lessivés qui en ont pris plein les gencives, des gnons, des champignons, des hallucinations, de la science-fiction et des coups de bâton et qui slamment ici leur dernière salive et crachent pour demain des salves de noyaux d’olive avant que ne se pratique une explosion d’ogive en grand bouquet final de l’évaporation d’une espèce de monde assez chic, assez chié, asséché à jamais.
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Ecrit pour le Défi du samedi n° 262 d'après cette consigne
Portes de Cadouin. La troisième est-elle celle du dauphin de France ?
Si un fleuve est une rivière qui se jette dans la mer, alors je vous présente un fleuve breton méconnu : il s'agit du Léguer qui mesure une cinquantaine de kilomètres, traverse Lannion et se jette dans la Manche au Yaudet, un peu avant Beg Leguer. Nous avons plus l'habitude de randonner sur l'autre rive, du Yaudet à Locquémeau mais ce mercredi-là, histoire d'aller acheter mes journaux, faire quelques courses et randonner sans prendre la voiture, on a parcouru à pied les 9 kilomètres qui séparent Beg Leguer de Lannion en longeant ce fleuve dont un des affluents n'est autre que le Saint-Emilion ! Mettre du Saint-Emilion dans la flotte pour le balancer à la mer ? Ils sont vraiment fous, ces Bretons !
- Cet escargot a de la chance : il n'a pas un voisin du dessus qui lui porte la poisse !
- ???
- Ca risque d'être long à expliquer mais vu que j'ai commencé sur les billets d'hier... Hier donc j'étais donc dans la cour à renfiler la chambre a air réparée dans mon pneu avant quand le portail de la maison claque : c'est notre voisin du dessus qui rentre avec son propre vélo. On se serre la main et il me dit : "Ah ça je connais ! Je n'arrête pas de crever avec le mien ! Et quand ça commence, c'est en chaîne !".
"Quand même pas ? que je lui réponds". "Si, si !" qu'il me fait d'un ton d'impératrice. Ensuite il s'extasie devant mes démonte-pneus tout rouillés - ils datent d'avant Mathusalem - et il m'avertit que ceux en plastique ne valent rien.
J'enregistre l'information et ce soir, fort de son avis et tout heureux de mettre ma résolution sportive d'hier à exécution, j'enfourche sur le coup de 20 h 20 ma bicyclette quasi flambante (bien que couverte d'une épaisse couche de boue séchée sur le cadre et le pédalier !). Je sens que j'ai de l'énergie à dépenser, ça roule bien, j'ai de la vitesse et du mollet et je me réjouis en arrivant aux étangs d'Apigné en voyant qu'il y a encore des gens sur la plage, qui se baignent, jouent au badminton, se prélassent. Les vacances ne sont pas finies ! Je continue mon périple et c'est en arrivant à la hauteur de l'usine d'épuration d'eaux de Beaurade (le nom est bizarrement trouvé!) que ma vitesse diminue, que mes sensations s'émoussent et que finalement je m'arrête : le pneu arrière est dégonflé ! Je lui file un coup de pompe... Que nenni, mes ami(e)s ! Le pneu arrière est bel et bien crevé !
Ce soir le résultat des courses est donc : 6 kms de vélo, 2,5 kms de marche dont quelques centaines de mètre de "course à pied avec handicap d'un vélo crevé à pousser". Ce à quoi il faut ajouter le gain d' un proverbe touareg porte-poisse made in Breizh : "On ne meurt que deux fois chez James Bond mais on crève plusieurs fois de suite à Rennes !".