L'HOMME-JOIE
Partons de ce bleu si vous le voulez bien. C'est le bleu de la Méditerranée, l'écrin de velours qui sert de décor au cimetière marin où gisent, pas très loin l'un de l'autre, Jean Vilar et Paul Valéry.
Oui, nous sommes à Sète mais nous ne sommes pas ascètes. Dans la ville populeuse les chats se prélassent au soleil. Les humains, eux, travaillent mais ils ont la consolation de recevoir du pain, du vin, des femmes et des chansons dans ces années d'entre 1930 et 1940.
Le jeune homme dont nous parlons s'en donne à cœur joie. Il se vaccine avec des aiguilles de phonographe. Il écoute des disques de jazz. Il admire Charles Trénet et se régale de la bonne humeur de Ray Ventura et ses collégiens. Il s'appelle Georges Brassens.
Bien sûr il fera des bêtises, comme tous les gens de son âge, au grand dam de sa mère. Pour une bonne catholique d'origine italienne une réputation ne doit pas être mauvaise. Si Mozart c'est trop de notes, Brassens c'est bien trop de gros mots et ce petit côté porno-phonographe aura pour conséquence que ses parents, même après avoir pardonné le vol des bijoux, n'iront jamais le voir jouer en scène de son corps de gorille, de sa chaise repose-pied pour joueur de guitare ignorant de la bandoulière, ni surtout de son œil qui pétille et de son sourire caché derrière sa moustache quand il sort une gauloiserie dont on a l'impression qu'il l'entend lui-même, à chaque fois, pour la première fois.
Écrire, c'est dessiner une porte sur un mur infranchissable et puis l'ouvrir. Brassens, c'est l'homme-joie qui tire le portrait des Ninon, des Mimi, des Suzette, des amoureux transis puis trompés, des rendez-vous avec vous, des chasses aux papillons, des rencontres sous la pluie. Et puis, quand s'en vient le succès dans les années 50, il raconte le temps qui passe (Saturne !), la bêtise humaine, cette imbécile heureuse qui est née quelque part de ses autorités, l'armée, l'église, la connerie des hommes. Et c'est bientôt aussi la maladie contre laquelle même le rut, le rut, le rut ne peut rien, la camarde qui ne pardonne jamais, l'adieu au vieux Léon, la plainte du fossoyeur, les funérailles d'antan. Et puis c'est le départ et même pas, comme demandé voire supplié, pour la plage de la Corniche ! C'était en 1981, il y a plus de quarante ans déjà !
Il nous reste la chanson. Les chansons. Et on ne remerciera jamais assez le Myosotis trio qui nous a ressuscité des morts certains de ses textes restés orphelins de musique. Les trois musiciens les ont agrémentés de notes et sont venus nous les chanter ce week-end à Rennes.
Comme l'a dit lui -même le poète sétois "les morts sont tous des braves types". Je suis bien content pour ma part d'en connaître aussi des qui sont vivants. Avec tous ces gens-là on est heureux de faire partie d'une même humanité. Vous comprenez cela ? Vous comprenez ?
Une petite Eve en trop by Myosotis Trio
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Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 10 septembre 2024
d'après la consigne 2425-01 ci-dessous