ET LE SOLEIL S’ENDORMIT SUR L’ADRIATIQUE
Certains de mes congénères n’hésitent pas, lorsqu’ils sont en société, à exhiber un petit talent généralement caché qui leur confère alors une ou deux minutes de gloire ou plutôt de gloriole.
Il y a par exemple ceux qui savent faire bouger leurs oreilles en gardant une expression figée. Ce genre de bêtise a toujours du succès, ne serait-ce qu’auprès des enfants. « Asinus asinum fricat », comme on dit en latin.
Il y a aussi ceux qui entreprennent d’écrire leurs mémoires et vous parlent de leur livre comme d’un bébé à faire naître dans les meilleures conditions : « J’envisage de le faire publier en usant d’un pseudonyme. Pourquoi pas celui d’une comtesse russe par exemple ? Que pense-tu de Sophie-Rose Touchépine ?".
Les plus sportifs d’entre nous voyagent dans les Cévennes en compagnie d’écrivains écossais. Ils pourraient eux aussi raconter leur périple dans un bouquin. Ou dans un film si l’écrivain – on dit autrice, je crois, maintenant – porte le prénom d’Antoinette.
N’en déplaise aux chastes oreille, ma célébrité, moi, je la dois à ma queue.
N’allez pas croire pour autant, au prétexte qu’on m’a baptisé du nom italianisant de Joachim-Raphaël Boronali que je fasse concurrence à Rocco Siffredi, vedette aujourd’hui bien oubliée de films à caractère pornographique.
Autant ce monsieur s’est dispersé maintes fois dans ce que d’aucun appellent , dans ma discipline, « L’Origine du monde », autant on peut dire de mon coup de pinceau qu’il est unique.
C’est là le propre des records du monde, même en peinture. On égale ou on dépasse mais on ne reproduit pas à l’infini. Quoique !
Je ne sais pas combien vaut aujourd’hui sur le marché de l’art mon chef-d’oeuvre « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique ». Si c’est la rareté qui établit le prix d’un tableau, ce doit être cher. Peut-être même mon œuvre unique est-elle entrée dans un musée ? Si c’est le cas, je regrette beaucoup que mes parents ne soient plus de ce monde. Ils auraient été fiers de moi, eux qui disaient toujours en lisant mes bulletins scolaires que j’étais un âne et qu’on ne ne tirerait jamais rien de moi.
Signé : Ali « Lolo » Boron
P.S. Pour en savoir plus sur Boronali, c’est ici.
Ecrit pour le Jeu n° 95 de Filigrane (La Licorne)
à partir de cette consigne